Ce mardi matin, alors que les opérations militaires se faisaient plus
rares et que les négociations de coulisses tentaient d’amener une trêve
à Gaza, le journaliste
Charles Enderlin tempérait les espoirs d’un simple « tweet » :
« Au Proche-Orient, les cimetières sont peuplés d’optimistes. »
Remarque cynique d’un vieux routier de la région, auteur de plusieurs livres sur les
« occasions manquées » de la paix, ou coup de déprime alors que les armes, une fois de plus, parlent le plus fort ?
Bombardement israélien à Gaza, les onze membres de la famille El Dalo tués, le 18 novembre 2012 (Wartner/20 minutes/SIPA)
Le paysage du Proche-Orient semble bien désespéré en cet automne
sanglant, au-delà même de la guerre qui oppose depuis une semaine Israël
et le Hamas palestinien. Qu’on en juge :
- en Syrie, on compte déjà plus de 40 000 morts
en dix-huit mois de soulèvement et, malgré l’unification récente de
l’opposition éclatée au régime de Bachar el-Assad, le conflit n’est pas
près de s’achever ;
- le Liban vacille sous l’effet, habituel, des soubresauts de ses voisins, et la voiture piégée qui a récemment tué en plein Beyrouth le chef de la sécurité, le général Wissam el-Hassan, fait ressurgir la crainte de la violence ;
- Israël s’apprête à voter, dans des
élections anticipées en janvier, pour une liste commune du Likoud de
Benyamin Netanyahou et de l’extrême droite d’Avigdor Lieberman, une alliance qui condamne par avance les moindres chances d’avancées sur la question palestinienne ;
- les Palestiniens sont toujours partagés
entre une Cisjordanie, dirigée par l’Autorité palestinienne de Mahmoud
Abbas, affaiblie, impuissante et discréditée, et une bande de Gaza
fermement aux mains des islamistes du Hamas, déboussolé par le clivage
chiites-sunnites qui l’a fait passer de Damas au Qatar, et pour
l’instant sans autre stratégie que militaire face à Israël.
Cette guerre pré-électorale oppose deux ennemis de la paix, pour des raisons opposées.
Une immense majorité d’Israéliens soutient l’opération « Pilier de
défense » lancée par le gouvernement contre les lanceurs de roquettes de
Gaza qui sèment la peur, et parfois la mort, dans une partie de plus en
plus grande du territoire israélien.
Certains, comme Gilad Sharon, le fils de l’ancien premier ministre Ariel Sharon,
vont même plus loin
en appelant carrément à réduire la bande de Gaza en poussière, faisant
le parallèle avec Hiroshima et Nagasaki frappés par les bombes atomiques
américaines pour amener le Japon à se rendre...
Les opposants à la guerre n’étaient que quelques centaines à
manifester dimanche en Israël, et la voix des partisans de la paix a
rarement été aussi marginalisée.
Soutien d’Obama et politique du fait accompli
Il y a quelques jours encore, Benyamin Netanyahou pouvait sembler
affaibli par son soutien sans fard à Mitt Romney, le candidat
républicain contre Barack Obama. Aujourd’hui, le même Obama le soutient
publiquement et bloque toute condamnation d’Israël au Conseil de
sécurité de l’ONU.
La stratégie globale de Netanyahou est payante, même si elle est à
courte vue. Il est parvenu à enterrer toute velléité de reprise du
processus de paix par son intransigeance sur la poursuite de la
construction des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et en
menant la vie dure à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
Dans le même temps, la politique de Netanyahou du fait accompli
développe le peuplement israélien dans les territoires occupés de
Cisjordanie et de Jérusalem-Est de manière qu’il espère irréversible,
tuant sans le dire la possibilité d’un Etat palestinien viable à côté
d’Israël, une politique des « deux Etats » qu’il a fini par soutenir –
au moins en paroles.
A force de discréditer les interlocuteurs modérés...
Pour autant, le premier ministre israélien sortira-t-il réellement
gagnant de l’actuelle confrontation avec le Hamas, devenu paradoxalement
son principal interlocuteur, par les armes ou par la négociation
indirecte ? En discréditant ses interlocuteurs modérés, il ne lui
restera plus un jour que les radicaux en face de lui.
La stratégie de la tension est aussi à rapprocher de la volonté de
Benyamin Netanyahou de frapper un jour l’Iran et son programme
nucléaire, avec ou sans le feu vert de Washington.
2 Le Hamas à l’heure du choix
A première vue, le Hamas avait des raisons d’être satisfait :
- la révolution égyptienne a porté au pouvoir au Caire les Frères musulmans dont le Hamas est issu et dont il est proche :
- ses rivaux du Fatah, expulsés de Gaza en
2007 mais toujours en contrôle de la Cisjordanie, sont au plus bas,
discrédités par leurs échecs internes et externes. C’est au contraire
l’image du Hamas guerrier qui monte, y compris en Cisjordanie.
Dans les faits, l’équation stratégique du Hamas est plus
complexe, et le mouvement de la résistance islamique, historiquement
opposé à la paix d’Oslo négociée par Yasser Arafat et qui a été un
échec, doit définir à son tour ses relations avec l’Etat hébreu.
Mettre sur la touche le malheureux Mahmoud Abbas
S’il n’adhère pas officiellement à la politique des deux Etats, le
Hamas est traversé par un débat sur un statu quo avec Israël, une
rupture avec la destruction de l’Etat hébreu qui figure dans sa charte.
Plusieurs fois annoncé, cet aggiornamento du Hamas ne s’est pas encore
produit.
Si une partie de l’opinion palestinienne voit en lui le continuateur
de la résistance, renforcé par l’envoi de missiles, même interceptés par
le « bouclier » israélien, jusqu’à Tel Aviv, et glorifiant le sang des
martyrs, il existe un autre courant de pensée qui ne voit dans ces
roquettes qui pleuvent sur Israël qu’une fuite en avant sans autre
résultat palpable que d’aggraver les souffrances des habitants de Gaza.
Pour l’heure, la confrontation permet au Hamas de renforcer son
emprise sur les populations de la bande de Gaza, de mettre encore plus
sur la touche le malheureux Mahmoud Abbas au moment où il va demander,
le 19 novembre, la reconnaissance de l’Assemblée générale des Nations
Unies. Elle permet aussi au Hamas de tester ses nouvelles alliances
internationales.
Il sera toujours temps de redéfinir sa stratégie à l’heure de la sortie de guerre, quelle qu’en soit la forme.
Quand Israël et le Hamas s’affrontent, le grand perdant est
nécessairement la paix. Non seulement parce que les armes ont la parole,
mais aussi parce que les deux belligérants ont le même objectif pour
des raisons diamétralement opposées : empêcher une paix basée sur un
compromis historique dans lequel chacun ferait des concessions.
C’était la logique d’Oslo, en 1993, qui a permis la reconnaissance
d’Israël par l’Organisation de libération de la Palestine d’Arafat, en
échange de la reconnaissance du droit des Palestiniens à un Etat.
Mais l’erreur d’Oslo fut de renvoyer à la fin du processus les
questions difficiles à trancher (frontières, réfugiés, etc.), au risque,
ce qui fut le cas, de ne jamais arriver à ce stade.
Par où viendra donc la paix ? Il est plus facile de dire par où elle ne viendra pas...
- pas de l’actuel gouvernement israélien, surtout avec le poids accru d’Avigdor Lieberman, l’allié électoral de Netanyahou, qui le dit haut et fort ;
- pas du Hamas, qui ne veut pas d’une paix
aux conditions qui seraient réalistes actuellement, même s’il peut
négocier un jour un statu quo pacifique durable (paradoxalement, le négociateur d’un tel accord
potentiel était justement l’homme dont l’assassinat ciblé par Israël a
précipité cette guerre), préalable indispensable à un changement de
climat ;
- pas de l’Autorité palestinienne, qui est en fin de cycle et n’a plus guère de capacité d’initiative ;
- pas de l’administration Obama, qui, tout
en étant réaliste et consciente de la situation, n’a pas la volonté
politique qui lui permettrait de peser réellement sur le conflit ;
- pas de l’Europe, qui a depuis longtemps renoncé à son rôle pionnier sur la question palestinienne (déclaration de Venise
il y a... trente ans !), et pas même de la France qui n’en a ni la
capacité, ni la motivation malgré la promesse de François Hollande de
reconnaître un Etat palestinien.
Il n’y a donc guère de raisons, pour reprendre le tweet de
Charles Enderlin, de nourrir le moindre optimisme par rapport au conflit
israélo-palestinien. Certainement pas tant qu’un nouvel élément, dans
la donne régionale ou internationale, n’aura pas modifié dans le bon
sens l’équation délétère actuelle.
En attendant, les Israéliens courent aux abris, les Palestiniens de
Gaza meurent sous les bombes, les Syriens fuient leur pays et meurent en
plus grand nombre encore, les Libanais s’inquiètent... Et l’impuissance
internationale n’a jamais été aussi forte dans cette région du monde.