source le Monde 12.10.10
La réforme de l'ONU est un serpent de mer. Elle se discute depuis vingt ans sans avoir produit de résultat. Aujourd'hui, les pays émergents frappent à la porte d'un club restreint, le Conseil de sécurité de l'ONU, dont la vocation depuis 1945 est de traiter des questions de "paix" et de "sécurité internationale". L'ordre d'hier ne leur convient plus, ils veulent être mieux représentés dans ce "saint des saints", de même que dans d'autres enceintes, comme le FMI. Ils demandent que la gouvernance mondiale de demain reflète les nouvelles réalités géopolitiques, plutôt que l'ordonnancement des puissances issu de la seconde guerre mondiale. Seuls cinq Etats (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine) détiennent le double sésame - un siège permanent et un droit de veto - qui établit leur prééminence, aujourd'hui de plus en plus contestée.
Des scénarios de transformation existent. Ils ont été mis sur la table par des regroupements d'Etats aux calculs convergents. Il y a le G4 (Brésil, Allemagne, Inde, Japon), dont tous les membres aspirent à devenir membres permanents ; le groupe des "Unis pour le consensus" (rassemblant notamment l'Italie, le Pakistan, le Mexique), qui ne veut rajouter que des sièges non permanents et se méfie avant tout des ambitions du G4 ; et les pays de l'Union africaine, qui demandent deux sièges permanents et deux non permanents supplémentaires. Il y a enfin une formule mise en avant par la France et le Royaume-Uni, qui cherchent à réconcilier tout le monde autour d'une réforme "intermédiaire" incluant des sièges "semi-permanents".
S'il y a blocage, c'est que derrière ces demandes se cachent des ambitions qui s'annulent les unes les autres. Nicolas Sarkozy a raison de souligner, dans bien des discours, à quel point il est absurde que l'Afrique - qui concentre un milliard d'habitants, 25 % des Etats membres de l'ONU et 60 % des opérations de maintien de la paix - n'ait pas en permanence voix au chapitre. Mais le président français omet de préciser que les candidats africains n'arrivent pas à se mettre d'accord entre eux. Qui, de l'Afrique du Sud, du Nigeria ou de l'Egypte, doit entrer ?
Derrière les belles paroles professant la réforme, les "cinq grands" n'ont aucune envie de céder leurs prérogatives. Britanniques et Français ne parlent guère de céder la place à l'Union européenne. La Chine s'oppose à l'entrée du Japon, et même à celle du Brésil. Le G20, que la France s'apprête à présider, est-il une consolation ? Informel, il ne fait pas l'unanimité à l'ONU, et sa légitimité n'est qu'économique.
La réforme de la gouvernance mondiale est un vaste chantier dominé par la défense, pied à pied, des intérêts nationaux. L'issue pourrait être un assemblage d'instances ad hoc, qui serviraient, comme le G8 et le G20, de forums de discussions. Mais l'efficacité en serait toute relative. La fin de la guerre froide, les bouleversements de la mondialisation, les aspirations et le poids croissant de l'Inde, du Brésil, de l'Afrique du Sud et d'autres rendent pourtant la tâche urgente.